Julius Meier-Graefe

Julius Meier-Graefe (1867-1935) fut l’un des plus grands critiques d’art allemands du tournant du siècle, figure cosmopolite et ardent défenseur de l’art moderne français. Né le 10 juin 1867 à Resicabánya, en Hongrie (alors province de l’Empire austro-hongrois), il grandit en Allemagne et commence des études d’ingénierie avant de se tourner vers la littérature et l’art. Dès les années 1890, il s’installe à Berlin, où il fréquente des cercles d’intellectuels et d’artistes, et participe, en 1898, à la création de la Société Marées (Marées-Gesellschaft), nommée en hommage au peintre Hans von Marées, figure emblématique de l’art idéaliste allemand. Cette société se donne pour mission de produire des éditions de prestige – livres d’art, textes littéraires, portfolios – à la typographie soignée, illustrées par les meilleurs graveurs et peintres contemporains. Il s’agit, pour Meier-Graefe, d’offrir une alternative à la production industrielle et de faire de l’édition un art en soi, dans l’esprit des mouvements esthétiques de la fin de siècle. Peu après, Meier-Graefe quitte Berlin pour Paris, capitale artistique mondiale. Il s’installe au cœur de la ville, où il devient un observateur passionné de la vie culturelle et des bouleversements esthétiques en cours. En 1899, il ouvre La Maison Moderne, une galerie-boutique conçue sur le modèle de l’Art Nouveau, destinée à exposer et vendre des œuvres d’art décoratif, des meubles, des bijoux et des estampes contemporaines. Il y défend des créateurs novateurs, mais c’est surtout dans ses écrits qu’il s’impose comme le grand interprète de l’art français auprès du public germanophone. Ses essais et ouvrages – notamment Entwicklungsgeschichte der modernen Kunst (1904) – offrent une histoire personnelle et passionnée de l’art moderne, mettant à l’honneur les Impressionnistes et Post-impressionnistes : Monet, Degas, Cézanne, Van Gogh, Gauguin… À une époque où ces peintres restent parfois mal compris, il en explique la portée et la radicalité, soulignant leur rupture avec l’académisme. Paris, pour Meier-Graefe, n’est pas seulement un lieu d’étude, mais un espace de rencontres : il fréquente marchands, collectionneurs, écrivains et artistes, tissant un réseau qui fera de lui un passeur entre la France et l’Allemagne. Après la Première Guerre mondiale, les bouleversements politiques et l’atmosphère lourde en Allemagne l’incitent à chercher un cadre plus calme. Dans les années 1920, il s’installe à Sanary-sur-Mer, sur la côte méditerranéenne. Ce village encore discret attire déjà quelques artistes et deviendra, dans les années 1930, un centre important pour les intellectuels allemands en exil. Meier-Graefe y découvre un paysage qui semble taillé pour un peintre impressionniste : des collines couvertes de pins, le bleu éclatant de la Méditerranée, et la lumière changeante qui baigne les façades ocre du port. Au début, le village est encore un lieu discret, habité surtout par des pêcheurs et quelques familles locales. Mais dans les années 1930, il devient un point de ralliement pour une colonie d’artistes, d’écrivains et d’intellectuels allemands fuyant le nazisme : Thomas Mann, Lion Feuchtwanger, Stefan Zweig ou encore les époux Alma Mahler et Franz Werfel y séjournent. La maison de Meier-Graefe, entourée d’un petit jardin méditerranéen, se trouve non loin de la mer. C’est à la fois un refuge et un salon, où les conversations sur l’art et la littérature s’enchaînent autour d’un verre de vin local. Lui, qui avait connu l’effervescence des cafés parisiens et les salons berlinois, apprécie désormais la chaleur simple de ces rencontres au soleil couchant, ponctuées par le clapotis des vagues et le parfum des lauriers-roses. Même s’il vit plus retiré, il continue d’écrire et de publier. À Sanary, il achève plusieurs travaux sur l’art moderne et sur la place de la France dans son développement, méditant sur le chemin parcouru depuis ses années parisiennes. Sa disparition, en 1935, survient juste avant que Sanary ne devienne un lieu d’exil massif : il ne verra pas le village transformé en « capitale de la littérature allemande en exil ». Mais sa présence, au cœur de ce microcosme cosmopolite, reste l’un des premiers signes que Sanary allait bientôt entrer dans l’histoire culturelle européenne.